“Les ruines comme les photographies, nous installent dans un souvenir inventé,
un souvenir qui n’est pas le nôtre et que pourtant nous reconnaissons.”
Mémoire des momies, des ruines, des vestiges
in Montrer l’invisible, écrits sur l’image de Jean-Paul Curnier
hypothèses
m.o.m.i. c’est (peut-être) le sous-sol de la maison, un coin dans l’atelier, une boîte à clous, un marteau, un bout de bois en forme de planche, le temps passé à éviter les doigts, le mot bricolage prononcé en délice au bout des lèvres timides.
m.o.m.i. c’est (peut-être) l’armoire dans la chambre, remplie de caisses, de boîtes, de jouets, la solitude sur la moquette, les histoires de cosmonautes et les naufrages de pirates inventés pour écluser le temps en playmobil.
m.o.m.i. c’est (peut-être) le cahier de mots, journal d’intime planqué sous le matelas, le drap taché d’encre à la lueur de la pile électrique, le sommeil pourchassé par les héros de romans, les yeux troubles des petits matins tôt.
m.o.m.i c’est (peut-être) le bout de carton dans les rayons du vélo, à toute vitesse pétarader du vent entre les pommiers rangés, les patates glanées au milieu de l’été, les asperges sauvages et les rosés des prés.
m.o.m.i. c’est (peut-être) la page en album de photos bien rangées, les fantômes argentiques aux odeurs vinaigre blanc, l’image inversée dans le Rolleflex usé, l’image imaginée dans le crépitement de Super 8.
état de choses #1
Je me souviens d’un empilement de boîtes, en cartons pour la plupart, étiquetées pour la plupart, déplacées de lieux en lieux, de places en places, de pièces en pièces jusqu’à atterrir dans l’espace que j’appelle maintenant mon bureau dans la maison mienne. Un empilement de boîtes savamment conservées au fil des années, parfois scotchées, hermétiques, bouclées, scellées comme des sarcophages. Une accumulation de matières diverses, objets, cartes postales, photographies, chutes de films, négatifs, bibelots, etc.
La vie réduite à quatre termes: mots, objets, matières, images.
Traces matérielles de mémoire, mémoire de ma famille, mémoire mienne aussi. Bric-à-brac d’après les morts, emprunt de leur lassitude, de leur paresse, de leurs peurs. Bazar poussiéreux mais pas encore poussière, d’un monde d’avant qui me fonde autant qu’il m’est étrange, étranger.
Qu’est-ce qui me retient de tout brûler, jeter, recycler?
Qu’est-ce que je garde en gardant tout ça?
Qu’est-ce que je garde en écrivant, inscrivant, capturant, filmant tout ça?
hypothèses
m.o.m.i. c’est (peut-être) la dent de requin enfouie dans le tas de sable, brossée délicate avant l’extraction, douceur et fascination, le cours pratique de préhistoire parle en millions d’années.
m.o.m.i. c’est (peut-être) le bouquet de fleurs en plastiques accroché rose sur le rebord d’un four, la main incapable de quitter la grande main de maman, les frissons de corps échappés devant les barbelés, les larmes sans paroles pendant la visite du camp.
m.o.m.i. c’est (peut-être) la marche ratée dans la cour de récré, le gravier au front, le sang sur la blouse, l’odeur de coton à l’eau oxygénée, à vie dans la tête la marque de la chute.
m.o.m.i. c’est (peut-être) les plumes noircies d’oiseaux à l’agonie sur l’écran, une histoire de pétrole qui repeint tout en noir, les côtes escarpées en dessins encre de Chine.
m.o.m.i. c’est (peut-être) la comtoise qui égrène les secondes les matins d’école, la toile cirée rouge, la parole des mains vieilles, gesticulent tendres et lentes, les mots qui disent avant, avant toi le monde et sans toi aussi, récit à épisodes.
état de choses #2
Il y a l’envie de mettre les obsessions à la verticale de l’écran, les mettre à lire, à voir, pour soi, pour les autres aussi, peut-être l’envie d’un carnet de tout, les mots, les images, les matières, les objets. Essayer d’y mettre du sens ou se perdre dans les dédales de ses propres labyrinthes insensés. Chercher sa voix, du moins faire ses vocalises.
Il y a vivre le travail artistique comme chantier perpétuel, textes en mouvement, écrits pas inscrits, enfermés, imprimés, images en instantanées, en secondes, en minutes, esseulées ou montées plurielles. Et puis des mots pour rien, et aussi des images pour rien, ou au moins pour le geste comme dit Alain Cavalier.
Il y a la nécessité d’une archéologie du souvenir, d’une autobiographie de la mémoire, comme un inventaire singulier et collectif, tourner simplement la tête en maintenant le buste immobile, les cervicales travaillent, le regard se porte vers l’arrière-soi avant de revenir lentement vers l’avant.
Il y a l’espace virtuel de création comme moteur de l’aller vers, l’autre, l’étrange, l’étranger, l’inconnu. Comme tisonnier de la curiosité.
Comme espace d’écritures multiples, appelé “site”, “blog”, peu m’importe, atelier de bricolage plutôt. De transformation, recherche de formes de dire, de voir, de charnières de pensées.
La vie matérielle a t-elle encore du sens?
En douter parfois, avec tristesse ou avec joie selon la journée.
à suivre….
@anne-lise maurice, m.o.m.i., texte en chantier perpétuel, dernière mise à jour janvier 2018