Seulement l’inconnu, le film

 

En 2013, je suis lauréate de la résidence Frontières au Musée de l’Histoire de l’Immigration, et dans ce cadre je réalise un court-métrage, Seulement l’inconnu, produit par le GREC.

 

 

 

“Je ne sais quelles gens fuyant je ne sais quelles autres.
Dans un je ne sais quel pays sous le soleil et sous certains nuages.
Ils laissent derrière eux je ne sais quel tout, champs labourés, je ne sais quelles poules, quels chiens,
quels miroirs où les flammes se reflètent.
Ils portent sur leurs dos cruches et baluchons.
Plus ils sont vides et plus ils pèsent lourd “

Wislawa Szymborska, Je ne sais quelles gens

 

 

Le film

 

 

 

 

Premières notes d’intention, à l’occasion de la résidence

J’aime ces mots de Wislawa Szymborska, parce qu’ils me parlent du Musée de l’histoire de l’immigration. Et notamment de la galerie des dons. De cette importance portée aux objets sur les chemins de l’exil. Parce qu’ils sont des traces de vie, palpables, réels, des traces de mémoire transmises de génération en génération. Parce qu’ils racontent des histoires singulières au milieu de mouvements collectifs. Et ces histoires, intimes, j’ai envie de les donner à voir dans le film, en partant de ces objets.

Dans ma pratique de filmeuse, notamment dans mon premier film (Le Tablier bleu), j’aime travailler la relation du corps à l’objet, et notamment de la main à l’objet. L’objet devient à la fois personnage et accessoire, acteur et traducteur du parcours d’un être, de son identité, il en raconte les difficultés, les chaos, les joies. Il peut se vivre comme un passe-frontière. Par exemple, le premier objet qui a frappé mon regard c’est le cor chromatique que je trouve particulièrement intéressant visuellement en tant  qu’instrument de musique, et qui permet à mon imaginaire de voyager musicalement au-delà des frontières. Cet objet, j’aimerai qu’il fasse partie du film.

Ainsi ces objets de la galerie des dons seront à la base de mon travail filmique. Ils seront les ressources principales de mon écriture.

 

 

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J’aimerais un film où il n’y a pas de temps, histoires passées et présentes se mêlent, répètent, confrontent.

La notion de frontière comme possible espace de la rencontre m’importe. Rencontre entre des matières, rencontre entre des êtres et des matières, rencontre entre des êtres. Différences accoudées qui dessinent visuellement ou non une frontière des possibles.

Je veux croiser des histoires qui disent le mouvement des êtres. Parce que c’est le mouvement, volontaire ou non, des hommes qui, peut-être, bousculent les frontières. D’un côté, faire se rencontrer des corps, des mains, des objets à travers des situations écrites et inspirés des récits de vie réelles que j’aurais glané dans le musée. De l’autre, interroger la frontière, de manière visuelle, sous forme d’essai. Je ne questionnerai pas la nécessité ou non des frontières, je partirai de la réalité. Les frontières existent, visibles ou non, elles sont là, ancrées à l’intérieur des territoires et des êtres. C’est ce contraste entre le visible et l’invisible qui m’intéresse.

 

 

Résumé du film

Une femme fait irruption dans un monde réduit à une vie souterraine. Elle se heurte à l’organisation stricte d’un poste-frontière, gardé par un homme qui contrôle chaque jour les réfugiés en attente d’un ailleurs. Rituel immuable et absurde, que la présence de cette femme va lentement bouleverser.

 

Quelques extraits de scénario

Séquence 1 – ” Des mains et des objets”
Deux tunnels distincts, une pièce blanche

Dans le premier tunnel, une bougie s’allume dans la pénombre. Un léger souffle d’air fait vaciller la flamme. Les mains d’une femme, L, se réchauffent au-­dessus. On ne voit pas son visage.

Dans le second tunnel, des bougies s’allument en rafale. Les mains d’un homme plient une couverture. Ceux d’une jeune femme ouvrent une boîte pleine de petits objets ( une tête en mie de pain, une carte postale, une fleur en plastique). Celles d’un homme plient des papiers en forme d’oiseau genre origami. D’autres rangent des objets dans leurs sacs. On ne voit aucun visage.

Dans une pièce blanche, éclairée par un néon, les mains d’un homme, S, astiquent les boutons de sa veste devant un miroir. Il porte des gants blancs. On ne voit pas son visage.

Dans le premier tunnel, les mains de L placent une petite boîte en fer au-dessus de la flamme. Un liquide fond.

Dans la pièce blanche, les mains de S sortent un cor chromatique de son étui.

Dans le second tunnel, la main d’une femme trace un bâton sur le mur pour indiquer un jour nouveau. Des mains se serrent pour se saluer.

Dans le premier tunnel, les mains de L frottent de grandes bottes montantes usées avec le liquide fondu. Puis replacent du papier dans les chaussures, puis glissent ses pieds dans les chaussures.

Dans la pièce blanche, les mains de S essuient délicatement le cor chromatique avec un mouchoir qu’il humidifie à sa bouche. Puis il le glisse sur son épaule. Et bascule un gros commutateur électrique.

 

Séquence 2 – “La lumière et les jambes”
Plusieurs tunnels, la pièce blanche

Dans les tunnels la lumière s’allume.

Dans le second tunnel, les jambes d’un groupe d’une dizaine de personnes de toutes origines, qui finit de ranger ses bagages. Accroupis, courbés, pieds immobiles, corps adossés au mur. On ne voit aucun visage.

Dans la pièce blanche, les aiguilles d’une pendule tournent. Le pied de S bat la mesure. Il porte le cor à sa bouche et joue Le Beau Danube bleu de Strauss, avec beaucoup de couacs et pas en rythme.

Le son du cor résonne dans les tunnels vides. Puis des ombres de corps passent. Puis les jambes du groupe qui avancent à grands pas vers le son.

Dans le second tunnel, L est encore assise. Elle termine ses lacets, assise au milieu du couloir. Deux sons parviennent à ses oreilles, celui du cor à un bout du tunnel, celui des pas qui courent à l’autre bout du tunnel.

Le groupe fait soudain irruption dans le couloir et passe de part et d’autre de L, sans s’arrêter.
L se redresse. En queue de groupe, une jeune femme lui fait signe de les suivre. L hésite, puis se met en marche dans leur sillage.

Suivant le bruit du groupe, L passe dans un tunnel circulaire, puis rampe dans un souterrain avant d’atteindre un tunnel plus éclairé. Le bruit du cor est proche. Elle aperçoit le groupe qui disparaît à nouveau au bout du tunnel.

L le rattrape et se retrouve face à un check-point.

(…)

 

 

Festivals : Festival du film court en plein air de Grenoble (2015), FICEG ( Grenoble 2016)
Diffusions : Médiathèque Françoise Sagan (Paris) le 30/03/2017, Musée Dauphinois (Grenoble) le 29/11/2015, Musée de l’Histoire de l’Immigration (Paris) le 11/02/2015, SZIGET Festival (Budapest) en août 2018.

Ce film fait partie de la collection de la Médiathèque du Musée de l’Histoire de l’immigration.
Il est disponible auprès de l’Agence du Court-Métrage

 

 

©anne-lise maurice, m.o.m.i., premières versions janvier-juin 2014, mise à jour le 20 février 2018