Le Tablier bleu, le film

Le Tablier bleu est un essai documentaire réalisé en 2013. Il est produit par le GREC.

 

 

 

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« Le tablier n’est d’ailleurs pas le tablier. C’est le rideau devant le mystère»
Hélène Cixous, Le Tablier de Simon Hantaï

 

 Résumé

Ce film est un voyage dans le temps de la mort. Le temps de la mort de ma mère.
Ma mère est morte en février 2010. L’attente de sa mort a réveillé les morts anciennes, celle de mon grand-père, celle de ma grand-mère, les parents de ma mère. Alors je refais le chemin de ces morts, de la première, le grand-père en tablier bleu, à la dernière, celle de ma mère, repassant sans cesse par le petit cimetière familial d’Ivoy-le-Pré, au centre de la France.

 

 

« N’observe pas, n’examine pas, mais reste prêt pour les signes, vigilant. Sois ébranlable.
Montre tes yeux, entraîne les autres dans ce qui est profond,
prends soin de l’espace et considère chacun dans son image.
Ne décide qu’enthousiasmé. Echoue avec tranquillité.
Surtout aie du temps et fais des détours.
Laisse toi distraire. Mets toi pour ainsi dire en congé.
Ne néglige la voix d’aucun arbre, d’aucune eau (…)
Mets toi dans tes couleurs, sois dans ton droit, et que le bruit des feuilles devienne doux.
Passe par les villages, je te suis. »

Peter Handke, Par les villages

 

 

 

Intentions

 

Au début du projet, il y avait une volonté de filmer ma mère, quoi qu’il arrive, jusqu’au dernier souffle. Pour garder une trace de cette traversée. Mais je me suis vite confrontée à l’impossibilité de mon regard frontal sur la mort. Et cette impossibilité m’a poussée à questionner mon regard sur la mort, et au-delà, mon regard de filmeuse.

Parce que la mort, comme tout sujet, demande à être apprivoisée. C’est cela sans doute que je raconte dans ce film. Comment apprivoiser l’intolérable, la mort, et d’autant plus la mort d’une mère. C’est l’apprivoisement d’une réalité que je montre à travers le regard que je pose.

En repassant par le cimetière familial d’Ivoy-le-Pré, tout au long du film, pour contempler la réalité des autres morts. Comme un pèlerinage. Le cimetière, c’est à la fois le lieu de la mémoire et le révélateur de mes états psychiques (résistance, peur, lutte, apaisement….). Le regard que je pose sur lui évolue au fur et à mesure du film, de l’onirisme à la réalité. Parce qu’il est aussi question de regard dans ce film.

A l’origine, il y a cette scène fondatrice que je vis alors que j’ai un peu plus de deux ans. La mort de mon grand-père en tablier bleu, victime d’une crise cardiaque devant mes yeux. Et la main de ma mère qui vient se poser sur mon regard, pour l’interdire. Et mon regard qui malgré tout persiste à voir cette mort, et s’accroche, à la dérobade, à la vision du tablier bleu, ignorant le cadavre qu’il recouvre.

Ainsi cette phrase de ma mère, dans le film, répétant, « tu n’as rien vu » (et que j’emprunte à Hiroshima mon amour), sous-entendu tu n’as rien vu de la mort de ton grand-père, est essentielle. Parce qu’elle pose pour moi, la question de la subjectivité du voir. Ma vision d’enfance a posé la mort en tablier bleu. Et ce tablier bleu, aujourd’hui, je le filme au sens premier, dans le symbolisme de ma vision d’enfance. Le film est en effet ponctué de séquences où je recrée un tablier bleu, pour ensuite l’user, le meurtrir, l’abîmer, et le brûler enfin. Parce que ma mère, dans le film n’apparaît pas. Parfois ses pieds, son corps sans tête, sa main, mais jamais la réalité d’un corps en lutte avec la maladie. L’avancement de la maladie qui détruit ma mère, sa mort et sa crémation sont suggérées par l’objet tablier bleu. Ce « rideau » qui cache et révèle en même temps.

 

Avec Le Tablier bleu, il n’y a pas de volonté de défendre une idée, si ce n’est peut-être, celle du temps. De la mort. De la vie. De la vie partout même dans la mort, dans le souffle du vent agitant des fleurs en plastique devant un tombeau, jusqu’au bouquet de fleurs fraîches qui dépérit devant un colombarium. Parce que dans Le Tablier bleu, l’objet tient une place centrale. L’objet du regard, et l’objet physique aussi, qui traduit le passage d’une vie ou d’une mort. L’objet qui renvoie au hors-champ. Le Tablier bleu, c’est un film du hors-champ. Qui raconte l’attente et l’implacable, la peur et la conscience, la vie et la mort. Le passage du temps.

 

 

 

Le traitement des images

Dans Le Tablier bleu, j’utilise plusieurs outils de filmage. Une caméra super 8, un appareil photo numérique, une caméra DV.
La super 8 me permet de reconstituer la vision de l’enfance, de la mort du grand père, vision fugitive d’un tablier bleu dans l’herbe.

Les images de l’appareil photo numérique, je les ai tournées pendant la maladie de ma mère. Je les pensais au départ comme des images préparatoires, des images de repérages. Aujourd’hui, je les considère plus comme des archives. La basse définition de ces images m’intéresse, car elle participe à la narration. Elle raconte mon regard, au début du film, un regard qui oscille entre la mémoire et le réel, elle traduit le trouble, la difficulté du voir. Ces images, je souhaite les travailler d’une manière « onirique », les confrontant par des superpositions.

Les images DV, sont porteuses de mon entrée dans la réalité. C’est le regard qui s’éclaircit, le temps du film qui rentre dans le présent de l’histoire. Le conflit s’apaise, le réel s’affronte. J’ai tourné certaines images DV pendant la maladie, images de la maison de ma mère ou images du passage des saisons dans son jardin.

Je souhaite tourner toutes les séquences avec l’objet tablier bleu dans ce format.

 

Le traitement des sons

La place du son est essentielle dans Le Tablier bleu. Très présent au début du film, presque trop, il disparaît au fur et à mesure

Il y a d’abord la musique, la musique que je vais travailler comme un langage. La musique c’est ma parole. Elle remplace les mots que je ne peux prononcer en vivant cette réalité La musique dans ce film, c’est ma pensée, le mouvement de ma pensée face à la contemplation du réel, et son traitement évolue au fur et à mesure du film. Parfois en accord avec ce que je filme, parfois en contradiction. Au même titre que l’image, la musique du début du film est travaillée comme la résurgence de la mémoire, les styles musicaux s’entrechoquent, se superposent, se répondent (effet de ralenti, de disques rayés, répétitions… mêlant musique classique et chansons populaires). Ce trop-plein sonore s’éclaircit au fil des images, pour mieux faire entendre le silence de la fin.

Il y a aussi la voix-off. Cette parole qui porte, relate celle de ma mère. Les derniers mois avant sa mort, j’avais demandé à ma mère, en m’inspirant de Sans Soleil de Chris Marker d’écrire « la liste des choses qui font battre le cœur ». C’est sur cette liste que je me base pour l’écriture de la voix-off.

Cette voix-off n’apparaît que sur les images de l’objet tablier bleu. Elle ponctue le voyage, assure le chemin de la narration en parlant de la relation aux morts passées. Je dispose de quelques extraits sonores de cette liste lue par elle, mais pour l’instant, je n’ai pas l’intention de les utiliser.

 

Festivals: Festival Les Filmeurs (2017)

Diffusions : L’autre écran / Salle Jean Dame ( Paris) le 04/11/2014, Anis Gras / Le lieu de l’autre (Arcueil) le 11/09/2013,  Le nouvel odéon (Paris) le 20/04/2013

Ce film fait partie de la collection G.R.E.C/ Forum des Images

 

 

©anne-lise maurice, m.o.m.i., extrait du dossier du film écrit en 2010, mis à jour le 9 mars 2018 à 14h15